on se fend la poire avec TAYLOR CLARK
Propos receuillis et traduits par Cyril Lestage
Photos par Mike Bryk
Le skate est une blague, et on le crie très fort.
Taylor est sans doute un des comiques (si ce n’est LE comique) les plus connus en tant que skateboarder. Thrasher lui a dédié des pages et des vidéos il y a de ça quelques années, et même si il porte le même nom qu’un joueur de baseball à une voyelle près, il s’en sort très bien par lui-même. C’est non seulement un excellent skateboarder, puisqu’il a été sponsorisé pendant de nombreuses années, mais aussi, aujourd’hui, un vrai professionnel de la scène grâce à son outil de voix et l’intégration de clichés sociologiques dans son écriture, qui lui servent plutôt bien.
Dans ses rantes verbales de stand-up, il rit de son pote agent immobilier,
hurle sa haine des trotinettes, des chats…
et se moque constamment de lui-même : un adulte skateur en reconversion permanente, qui essaye de s’insérer tant bien que mal dans la société. Il a bien une tête de “coach un peu énervé” (dixit lui-même), pourtant sa personalité est on ne peut plus loin de la réalité. Et pourtant… est-ce que le monde adulte va le rattraper ?
J’espère que ça te gène pas si j’imite ton accent !
(rires)(Cyril a un accent écossais et du nord de l’Angleterre prononcé, et Taylor est américain, ndlr).
Nan nan, pas de problème ! Merci encore de répondre. On va y aller directement, comment tu te décrirai pour quelqu’un qui ne te connais pas ? Je ne crois pas qu’en France ou en Europe les gens te connaisse beaucoup… Qu’est-ce que tu fais professionnellement et en tant que skateboarder ?
Ouais…pour quelqu’un qui ne me connaît pas, je dirai que je suis un comique qui fait du stand-up….et qui skate (sourire).
C’est court et chouette. On va commencer par le truc du skate alors ! C’était quoi ton style de skate préféré en grandissant ? (Taylor est un vrai adulte avec une femme et deux enfants, et ça fait un bout de temps qu’il a passé les 25 ans, ndlr) Peut-être même aussi maintenant… et est-ce que ton style et ta pratique ont changé avec les années ?
(Silence de réflexion) Alors…mon style de skate préféré, quand j’étais petit, c’était le genre « Toy Machine-grosse balargue ». Genre, le rush de ça, les sections de chutes…ce type de skateboard là. (rires)
Au fur et à mesure que je me suis blessé et cassé des os, je me suis plus intéressé aux vidéos Girl (rires). Et je pense aussi que de traîner avec des skateurs plus vieux, ce genre de trucs aussi, tu vas te forger une opinion… Je vais dire que les vidéos Transworld ont tout changé pour moi. ca m’a ouvert sur les possibilités de construction artistique dans le skateboard, en plus de tout le « skateboard » en lui-même.
Des skateurs comme Marc Johnson et Mike Carroll, et Stevie Williams qu’on voit dans les vidéos Transworld (de cette époque de la fin des années 90 et début 2000, ndlr) m’ont montré ce que le style était, et combien c’était important pour le skate… la sélection de tricks, la sélection de spots, tout ces éléments créatifs plutôt que l’aspect casse-cou. C’est ça qui…et même encore aujourd’hui je veux dire, c’est ça qui maintient mon intérêt.
Donc tu es plus intéressé par l’esthétique et la manière de faire, à l’instant on va dire, que le trick en lui-même ou la difficulté ou la dangerosité, dans le skateboard, on va dire ça je suppose ?
Oui c’est plutôt bien dit.
Comment l’humour est entré dans ta vie ? Est-ce que c’était via la famille ou ce que tu regardais à la télé quand tu était gamin ? Je dirais que dans les années 80 et 90, il y avait plein plein de comiques…ou c’était peut-être avec quelque chose complètement à côté de tout ça ?
Hum…Je crois que comme tous les gamins ma grande passion c’était de rigoler (rires) alors j’essayais de m’intégrer là-dedans !
T’essayais de faire des farces, ou des blagues…ou tu te mettais en scène, quoi donc ?
J’étais à fond dans les Looney Tunes et les Simpsons, ça a été ma drogue d’entrée vers la comédie probablement. Et puis mon père a toujours été marrant, il changeait sa voix quand il parlait à la maison…J’ai grandi à Las Vegas, mon père est musicien et dans l’industrie du divertissement. J’ai vu Louie Anderson faire du stand-up quand j’avais genre 7 ans (Louie est un comique américain qui a eu une grande carrière entre les années 80 et les années 2010, ndlr). Je regardais George Carlin, les Smothers Brothers, des choses de l’époque de mon père.
Alors définitivement pas les thèmes moyens d’un enfant des années 80 et 90 alors.
Enfin j’étais pas tout seul en tout cas, mon père étant du genre à faire « écoute fils, voilà Monty Python, assied-toi et je vais te montrer des trucs ».
Oooh, je détestais Monty Python gamin…Ma mère c’est une énorme fan de Monty Python, La Vie de Brian et tout, j’ai jamais accroché…
Même les films ?!
Même les films. Mon coloc’ à Londres était à fond de ça. Il m’a assis et il a essayé de me faire regarder la Vie de Brian, mais au bout de 20 minutes, j’étais « Naaaah…. »
Franchement j’pense, évidemment ça dépend comment tu as été élevé, mais tu dois regarder « Sacré Graal » d’abord. Et après, c’est tellement un film d’ado…Mon fils, je lui avais dit, « tu vas peut-être pas trop aimer », il avait 8 ou 9 ans quand je lui ai montré, et il était mort de rire pendant Sacré Graal. Pendant tout le film, ce film c’est vraiment très immature, y’en a des couches et des couches…En général c’est plein de blagues de pets, plein d’humour lourd, plein de sarcasmes et de double-sens et tout, si tu arrives à accrocher alors le reste de l’univers des Monty Python commence à avoir un peu plus de sens. Mais si tu commences avec la Vie de Brian à 15 ans, tu vas penser que tout le monde est débile (rires) (…) Mon père aimait tout ces vieux trucs comiques et il voulait partager ça. J’ai fait de l’impro au lycée, c’était la première fois que je « performais » on va dire, à part des rôles. J’ai uniquement commencé le stand-up quand j’avais 21 ans, quand je suis revenu dans le Washington (l’état, ndlr) après le Canada, après une école de cinéma.
Oh tu as fait une école de cinéma, vraiment ?
Ouais, j’ai fait ça.
Tu t’es dis que tu allais faire ça pour travailler dans les domaines sérieux ou plus léger peut-être ?
Alors, j’avais genre 19 ans quand j’ai fait mon école, et c’était vraiment à cause des vidéos de skate.
Aaah, ok !
J’ai commencé à écrire des trucs pendant ma dernière année de lycée, mais je me suis intéressé aux films via les vidéos de skate, alors… les vidéos Girl étaient faites par Spike Jonze, je suis devenu obsédé par tout ce qu’il faisait, que ce soit Adaptation ou Dans la Peau de John Malkovich, ça a été mon introduction au cinéma indépendant et créatif…genre je voulais en fait être Quentin Tarantino et Spike Jonze ! Je voulais faire des fiction cools, énergiques, créatives, et après mon école je me suis dit « La vache, l’industrie du ciné c’est compliqué !! » (rires) je me suis dit, tu fais des blagues de cul pendant un an et puis tu finis à Saturday Night Live, et je vais serpenter jusqu’à Hollywood en partant de ça, c’était littéralement ce que je pensais que je ferai. Je vais faire du stand-up à 21 ans, et à 22 ans je serai sur Saturday Night Live (rires) et à 23 ans je ferai des films avec les meilleurs. Alors évidemment ça n’a pas tout à fait été la trajectoire qui a marché (rires) mais c’était ma mentalité.
Alors tu commences à faire un peu de stand-up et d’impro…et ça évolue vers quoi après, je ne sais pas combien de temps tu as fait ça…
Ce qui est marrant c’est que j’avais 21 ans quand j’ai commencé, je skatais beaucoup, j’avais encore un ou deux sponsors et je skatais tellement que mes premières blagues était forcément à propos du skate mais ça a été tellement un bide, que les gens m’ont dit de plus jamais les faire parce que les gens les comprenaient pas (rires). Elles étaient pour des skateurs ou quoi, enfin je pense, et ironiquement 15 ans plus tard quand j’ai sorti mon album je me suis dit que j’allais me présenter en tant que skateboarder dans le stand-up . Et c’était principalement parce que je voulais skater pendant les tournées. Et ça serait chouette que les gens le sache (rires) comme ça les gens allaient me montrer des spots, et m’emmener filmer et machin !(…) C’est la vérité mec, les gens m’ont dit que j’étais débile et taré, mais même si ça marche rien qu’un chouilla je serait plus heureux que si j’avais eu un putain de boulot à rester devant un ordinateur, ou à faire du stand-up d’une manière que je n’aime pas (…) Ma vie de rêve c’était faire des trucs que j’aime. Si je peux voyager et aller skater et faire des spectacles, c’est ça que je veux faire, et je m’en moque un peu de si ça a beaucoup de succès, à partir du moment où c’est ma vie et que ça me fait manger.
Si tu aimes tes trucs et que tu ramènes du positif à la maison, c’est un peu le truc important et en plus tu peux un peu ramener ta vie et tes passions à la maison je suppose ?
Oui c’était un peu le but !(rires)
Source : Thrasher Website
Quelle importance ont ta voix et ton rythme dans ce que tu fais ?
Parce que ta voix est, pas dans le sens « étrange », mais ta voix est importante dans ce que tu fais…
J’apprécie merci (…) C’est un énorme compliment pour moi, ça me touche énormément. En comédie, tout ce qu’on veut c’est être original, hein ? Plus t’es normal, mois tu es inspirant. Pour la comédie, si quelque chose est bon c’est parce que qu’il y a une originalité chez toi. Tu dois être familié avec ce qu’on appelle le « hack », c’est quelque chose qui a déjà été fait, ou quelque chose qui sonne comme quelqu’un d’autre, c’est comme le ABD en skateboard. Ca a l’air cool, mais c’est du déjà vu. Sortir du lot, être unique, c’est le truc le plus dur, hein ? D’abord, ça peut pas être forcé, autrement sur scène ça a l’air naze. Alors même si juste pour toi, je ressors comme quelqu’un d’unique, merci.
Comme la voix c’est un outil de pro chez toi, est-ce que c’est quelque chose que tu travailles ? Pas juste ton ton, tu en prends peut-être soin, quelque chose de spécial…
Je perds tout le temps ma voix…
Ah oui ??
Ouais, je crie comme un malade sur scène. Je peux pas… enfin je veux toujours faire le meilleur spectacle possible, alors si je dois me pousser pour que tout le monde voit un bon spectacle, ou pendant une blague ou je crie ou j’hurle… le public aime vraiment ça…
Parce tu cries vraiment pendant ton acte !
Carrément. Ca dépend du show, mais oui, j’ai des blagues où c’est plus marrant quand je parle fort, alors je parle fort ! (rires) Et…si je fais ça pendant un week-end, ou je fais 5 scènes sur 3 jours, alors au 4e coup je suis un peu, genre, je m’accroche. Physiquement, c’était ta question, je vais me faire un thé ou un truc à la lavande un truc du genre (rires), je fumes plus de cigarettes, je ne bois plus, je fume juste de la weed, ce qui est pas génial pour ma gorge, mais… à part ça, je ne crois pas que j’y fais plus attention que ça.
Selon toi, dans la vie, le truc c’est beaucoup de travail ou beaucoup de chance ?
Définitivement presque…tout de la chance…il y a bien des stratégies, des machins, blablabla, mais…je sais pas, j’ai toujours dit que les gens qui font bien leurs devoirs et qui n’ont pas de talent ont plus de chance d’avoir du succès, dans n’importe quelle activité, par rapport à la personne qui est super, super talentueuse mais qui sait pas envoyer un email. Un bon morceau du travail c’est la vie en ligne, les réseaux sociaux, se renseigner, et voir un peu plus loin, savoir ce que tu veux faire de ta carrière, faire étape par étape…C’est un métier. A la fin. C’est pas “ allez on sort et on fait le comique et mon agent va faire le reste !” (rires) Il y a peu de personnes qui vivent cette vie-là, alors j’essaye d’équilibrer avec ma plus grosse priorité qui est passer du temps avec ma famille et de monter sur scène le plus souvent possible.
Dernière question, par rapport au fais que tu as peut-être fait des shows en Europe ou que tu vas le faire…
(rires) Bah ouais si cette interview devient virale ! J’adorerai ça.