“ON FêTE LES 30 ANS DANS LA DOULEUR” uN PEU DE Réalité avec Jim de pulp68, le fameux skateshop de genève
Partie 1.
Par Cyril Lestage
Le célèbre skatepark de Stockwell à Londres, en 2008. L’industrie, comme les skateparks… étaient à l’époque les “propriétés” presque exclusives des skateboarders de tous les continents.
Aujourd’hui, ça n’est plus le cas, et les seuls maillons puristes qui restent pour défendre cette vision sont les skateshops. Jim Zbinden, agite ce drapeau depuis 1995, en tant que fondateur du musée et du skateshop Pulp68 à Genève, en Suisse.
Il a aujourd’hui une vision tranchée et très claire de ce petit monde du skate qui l’a fait vivre depuis des décennies. Notre petit monde qui, ces 10 dernières années, change beaucoup, comme il le souligne. Bonne lecture.
SUPER SARAH : Il y avait déjà un skateshop à geneve quand vous vous êtes installés vous, ou pas du tout ?
Jim Zbinden : Ouais ouais bien sûr ! Y’avait Wind Service, qui était le plus emblématique. Ca avait été monté par un gars qui s’appelle Robert Etienne, qui était très pote avec Rocco (Steve Rocco, qui a monté World Industries, et qui a donc influencé toute notre industrie skateboard « moderne », ndlr) et avec toute la clique. Lui, c’était…j’ai envie de dire, sans lui, y’aurait pas eu de skate à Genève.
Woah, d’accord !
Je crois qu’il est parti un jour aux States en vacances, et y s’est dit « Oh putain, y’a du business à faire !! »(rires) Il était autant apprécié que détesté parce qu’il a compris… Je vais essayer d’être un peu clair… Où on en est aujourd’hui avec le skate ça me fait super chier. Mais la vision américaine de dire « les gars, quand on se remue les doigts du cul, c’est pour faire du business et c’est pour gagner de l’argent » moi, cette vision-là, elle me va très bien aussi, en fait.
Oui, parceque tu restes un commerçant !
Non, plus du tout. Je vis pas dans le monde des bisounours en fait. A part moi (rires) Personne se lève le matin en disant « Yeah je vais faire une marque de tee-shirt ou de tournevis mais je vais pas gagner d’argent !! » A un moment donné, faut arrêter avec cette idéalisme du skate marginal, underground, c’est du bullshit. Depuis le premier jour, C’EST-DU-BUSINESS. Dogtown avec les Z-Boys, c’est du business, Powell, c’est du business.(…) On a idéalisé le skate comme étant un truc de marginaux, et tout ceux qui ont créé leur marque de skate, il l’ont fait pour gagner leur vie avec ! Donc tu vends pas, tu meurs, point ! Les belles paroles, c’est quelque chose, la réalité du quotidien, c’en est une autre.
On peut pas être plus clair, au moins.
Ce qui fait chier, c’est que ce business est allé trop loin.
En tant que skateshop, pour toi qui a lancé en 95, ça veut dire quoi ?
Nan mais en tant que skateshop, en tant que tout. Après on reviendra, moi j’ai un modèle économique qui est suicidaire depuis le premier jour et que je le sais, j’en suis conscient. On est allé trop loin parcequ’aujourd’hui on est dans une situation financière catastrophique avec le skate (…) le skate c’est devenu naze et ringard. Quand t’as 15 ans aujourd’hui et que t’arrives sur un skatepark où t’as que des filles en trott’ et des vieux de 40 balais, comment tu veux t’enticher à cette culture ? C’est super les revival, « Oh Hosoi, qu’est-ce qu’il est incroyable » mais ta gueule en fait, Hosoi sale connard (oups, ndlr) T’as fini en taule parce que tu vendais de la meth’ (de la métamphétamine, ndlr) à des gamins et puis on t’idôlâtre comme un génie ? Mais stop, en fait ! « Oh Gator et tout… » Gator, il a tué sa meuf et il l’a enterré dans le désert, on en est où !! Ils sont où, les icônes actuelles ?
Tu trouves qu’il n’y a pas de trucs qui ont de la valeur, qui ont de la matière à suivre actuellement ?
Aujourd’hui 80% des marques ont disparu, les 20% qui restent sont en apné…c’est compliqué quoi !(..) Y’a un truc qui faut comprendre. Y’a 30 ans en arrière, j’ai mis 3 ans à faire presser mes premiers plateaux. Pourquoi ? Je vais te faire un parallèle avec le monde du tattoo (…) fallait te trouver un studio, fallait te faire un réseau, qu’on t’introduise et que tu montre patte blanche. C’était pareil avec le skate. Depuis 15 ans maintenant les usines chinoises tournent à plein pot, tu leur fait un mail en disant je veux 200 plateaux, les mecs te disent « pas de souci, ça te coute 4 dollars ». Tout le monde fait des marques, y’en a trop, le marché il est en sur-production, ça se vend pas… et 6 mois plus tard la marque existe plus, es mecs font autre chose. Tant que le skate était dans les mains des skateurs, les années difficiles, les mecs se serraient les coudes. « Ok les gars, c’est une année difficile, pur les team-riders on va baisser les salaires, ça se vend pas autant, mais on va faire une campagne de promo l’an prochain, ça va aller. » Parceque les mecs, même si ils faisaient du business, ils avaient l’amour du produit et l’amour du skate. Depuis que le skate est tombé à 90% dans les fonds d’investissements, on se pose pas de question. Ca vend pas, ça dégage. (…) un matin, on regarde les chiffres, ça gagne pas, ça dégage. L’histoire, le patrimoine tout a, rien à foutre.
Ce qui se tient, on se base sur un chiffre d’activité !
Les mecs regardent, y’en a pas, point ! On a acheté ça 6 millions, on a perdu 2 millions l’an passé (référence à Lakai peut-être ? ndlr), zou ! Aujourd’hui quand tu vois tout le groupe de Dwindle qui tombe, avec Blind, Almost, Enjoi, Darkstar…des marques emblématiques, plus que cultes !
Parallèlement c’est aussi ces gens là qui otn développé les activité de presses (les usines qui pressent les skateboard, ndlr) en Chine justement !
Ouais, complètement !
Le truc qu’ils ont poussé vient un peu leur mordre les fesses…
Ouais, mais qui c’est qui trinque au final ? (…) Personne se pose la question sur le fait qu’on vend des boards de merde en shop, en termes de qualité. Parceque la génération qui skate qui skate ou qui devrait skater, elle est née avec ça ! Ils ont pas connu une board qui vient du Canada, qui dure trois mois !
Les planches de skateshops sont historiquement moins chères (et de qualité moindre ?) que celles des “vraies” marques, et représentent un marché délicat à elle seules : les demandes sont nombreuses, mais les contraintes liées au prix s’additionnent, pour les magasins comme pour les fournisseurs dans le monde.
Les planches sont toutes, à la base faites de plis d’un type spécifique d’arbre : un érable qui pousse dans le Sud du Canada. Les presses de skateboard étaient donc entre 1980 et 2002 concentrées sur le continent Nord-Américain, ce qui limitait le transport, la manutention des produits avant vente et distribution, et garantissait une uniformité des contrôles de qualité.
Comme du Chapman et compagnie…
Ouais, en une semaine elle est molle, en trois semaine elle est pêtée, c’est normal, c’est comme ça… ils ont connu que ça donc pour eux, c’est normal !
Vous en faites toujours, vous, des boards de shop ?
C’est pour ça que je te dit que nous on est suicidaires, j’ai continué à produire au Canada. Ca me coûte trois fois plus cher que de le faire en Chine. Je le vends au prix du chinois parceque je pense que c’est as aux gamins d’être prix en otage sur le prix de leurs produits, mais elles durent trois fois plus longtemps, donc j’en vends trois fois moins (rires). Tu peux pas faire un modèle économique plus pourri que ça.
Pour quelqu’un qui ne sait pas d’où vient les produits à l’heure actuelle, qu’est-ce que tu peux lui peindre comme petit tableau ?
Moi je vais lui expliquer qu’il a le choix, et qu’il devrait avoir les yeux ouverts. (…) Je pense que 15% des fournisseurs sont américains, pas plus. Sinon ça passe par HLC, ou par les chinois. (HLC est la plus grande presse européenne, basée en Espagne, ndlr) Mais HLC, c’est pas mieux hein !
Pourquoi c’est pas mieux selon toi ?
Ils ne travaille pas avec du bois de qualité. HLC, ils font du rendement, donc ça aussi, tu le sens tout de suite. Ramène une Zero qui est faites aux US, et puis ride une Zero ou une Flip qui est HLC, tu verras la différence ! (Certaines marques comme Flip, Sk8mafia… utilisent plusieurs presses pour des raisons logistiques et économiques : par exemple, des marques peuvent utiliser des presses différentes pour leurs ventes aux US et en Europe, ou l’Australie, ndlr…)(…) Je pense que les trucks, c’est moins important. A part un truck de supermarché pourri qui tourne pas, aujourd’hui, dans ces « sous-produits », qui ne sont pas vraiment des sous-produits, ils ont fait un gros effort, franchement.
Le métal est aussi produit principalement sur la planète en Chine à l’heure actuelle : ils ont les meilleurs ingénieurs, les meilleurs composés…le fait qu’on ait déplacé des industries là-bas (comme Independent Trucks par exemple , ndlr), ça va aussi avec les producteurs.
Tout à fait d’accord. Tu ride des Indy parceque t’es fidèle à Indy, tu ride des Ace, des Slappy…(…) je crois qu’il y a plus de mauvais truck.
Et les roues ?
Les roues c’est pareil. A part deux trois trucs qui sortent du lot (…) C’est dur à dire, franchement. Je pense que les lignes pros ils font encore à domicile, mais le tout venant doit-être fait en Chine. C’est mon impression.
La suite au prochain épisode…