MA VIE DE VENDEUR AU SKATESHOP
Avec le bon Valentin.
Par Cyril Lestage
Tout comme être sponsorisé, chaque skateboardeur se voit bien, à un moment, travailler dans un skateshop.
Valentin Dubief a 27 ans, et a passé presque trois ans à travailler dans le plus beau skateshop de Dijon, en Bourgogne, et en France (si vous cherchez, vous trouverez facilement qui c’est !).
Super Sarah s’est intéressé à son expérience, son ressenti des choses en tant que skateboarder, et jeune homme actif dans la scène locale.
SUPER SARAH : Comment est-ce que t’es arrivé à bosser dans un skateshop ?
Valentin : C’est arrivé d’abord par un stage, quand j’étais en école sur Bordeaux. Ch’uis resté un an là bas. Je suis revenu à Dole (dans le Jura, ndlr) de Bordeaux, et quelques mois après Tony (un des patrons du skateshop local, ndlr) m’appelle quand j’étais au taff, “ouais, tu veux pas venir bosser ?”
Via les études donc, mais t’étais déjà skateur depuis un petit moment…
Depuis que j’ai 15 ans. Et puis c’était mon skateshop local, donc tu vois, c’était pas non plus des inconnus.
T’as saisi l’opportunité de bosser pour le shop local, ce qui est super intéressant…
Ah bah carrément !! (…) J’avais 23 ans, c’est une reprise d’étude. De 19 ans à 22 c’était service civique et intérim, et reprise d’étude.
Donc t’avais déjà une petite expérience professionnelle avant d’arriver dans un magasin.
Ouais c’est ça. J’avais fait déjà un petit peu de vente quand j’étais au lycée, de la vente à la fin de mes études. En fait, je venais pas en touriste.
Qu’est-ce qui t’as le plus marqué quand tu as travaillé dans un skateshop ? En contraste avec… avant, quand t’étais juste un skateur ? Des choses que tu connaissais pas, que tu as découvertes ?
Hum…je te dirais que d’abord ce qui m’a marqué - j’imaginais qu’on avait beaucoup de skateurs qui venaient tu vois, le ratio skateur/pas skateur était grand, au final c’était l’inverse.
Ce que tu notes c’est que vous aviez plus de clients non skateurs c’est ça ?
Ah, forcément, ouais. Parceque bon, le skateur c’est le gars un peu fauché qui vient pour son matos, qui va venir dépenser ses thunes ou même squatter tous les jours. Il va taffer, être en étude. Ce que tu vois le plus, ça va être ceux qui vont aimer le skate, aimer le style, les papas, les mamans, les ados d’abord. (…) Je me voyais monter des boards tous les jours “Allez c’est partiii !” et en fait…non (rires). Je kiffais vraiment déballer les boards dans les cartons.
Un boneless sous la pluie, à plus d’un mètre de haut, en passant un gros plot en béton qui trainait par là. Valentin s’amuse bien, en général…
J’avais en tête qu’avec le shop on allait faire wat-mille events, tu vois, bouger la scène comme jamais.
Désillusion quand Tony et Clément m’ont dit, “gros tu vois, si tu veux faire ça, ça va être avec l’asso” (l’asso Union, l’association de skateboard locale de Dijon dans laquelle Valetin était déjà impliqué, ndlr).
Le shop mettait une distinction entre la scène et l’activité d’un magasin ?
Ouais, c’est ça. D’un côté ils avaient raison, l’asso est là pour faire vivre la scène, le skateshop sert a fédérer. (…) J’avais vraiment en tête que les shops, c’était les piliers, qu’ils allaient tout faire dans la scène, j’ai pris ça comme pour une mission quand je suis arrivé là-bas. “C’est parti, je suis à Dijon !” A Dole, nous, notre asso était morte en 2007, 09, un truc comme ça. J’ai commencé à skater en 2012, je suis arrivé sur la scène et c’était mort. Il y avait un skateshop, je crois que c’était New Deal, il a arrêté de faire des boards et il s’est mis à faire que des sapes ou des shoes. J’arrivais d’une scène où donc c’était mort, tu vois, y’avait juste deux trois vieux locaux avec qui j’avais appris à skater. (…) A Bordeaux j’ai vite vu une scène incroyable, tu vois, genre… Je me suis dit “vazy, j’arrive à Dijon mec, tu bosses en shop, ça va chier !” (sourire)
Et t’as bossé pendant combien de temps dans le skateshop ?
Deux ans… deux ans et demi ? Avec le stage tu rajoute deux trois mois…
Est-ce que t’as vu, au niveau de la scène, des choses évoluer avec le shop ? Des choses qui, en travaillant là, on est peut-être un peu privélégié de voir…
Alors oui, on voit beaucoup de gens arriver et qui repartent, comme disent Tony et Clem, Dijon c’est une ville où ça bouge beaucoup, tu vois. Il y a beaucoup de skateurs qui viennent pour leurs études ou qui partent pour leur études, ça tourne pas mal (…) J’ai adoré voir la progression des jeunes, ça, mec, j’adorait ! Voir leur style se développer, de les voir évoluer : “viens mec on va streeter !”…ça, j’adorais.
T’es plutôt quelque de positif et quelqu’un qui a l’esprit de communauté..
Bah ouais carrément !
…tu penses que c’est ça que dois représenter un skateshop ?
Je te dirais que… Arnaud, avec qui je faisais la formation à Brordeaux, dirait que c’est un lieu de la scène, où tu retrouves un peu des potes, un lieu communautaire. Avec genre un bar tu vois, comme ce que Momo a fait à Bordeaux… Marseille pardon (oups, désolé Momo, ndlr), tu vois, ça tue ! C’est l’endroit où la scène se retrouve, où tu baves sur des sapes que tu vas jamais t’acheter…(…) Au final tu y vois toujours les mêmes têtes, tu ne vois pas toute la scène, c’est ça qui est dommage. Je dirais aussi que ça vient avce l’implication, comment ils vivent le skate. Plus tu vas être mordu par la board, plus tu vas zoner avec les gars au shop, à être vraiment dans le truc (…) parler que de ça en buvant des canettes ! (rires) Tu vois, comment tu vis le truc ? Je sais que moi avec le temps, ça s’est vraiment bien calmé.
En presque 3 ans d’activité, en plus tu as bossé dans un vrai skateshop qui ne vendait pas de snwoboard, pas de trottinette, pas de…
Dieu merci !
… est-ce que tu as vu u peu l’activité du magasin changer vers le positif ou vers le négatif (financièrement parlant, ndlr) ?
Je t’avoue que je suis arrivé post-covid. Du coup c’était le moment où tous les shops étaient sur-stockés de matos, parce qu’il y avait eu une énorme demande pendant et après le confinement. Un giga-demande. On me disait que y’avait une palette, ou deux palettes de je ne sais plus quelle marque qui débarquait par semaine ! Du coup les marques produisaient à fond(…) du coup surproduction, la thune qui tombait, et y’a eu finalement pénurie de tout en même temps ! Ca a foutu un peu la merde. Y’a eu un équilibre à devoir retrouver, pour avoir un stock sain et pas que ce soit la merde dans ta trésorerie. Tu le sens passer. Aussi les modes de consommation changent, tu le vois, les gens dépensent le moins possible. Le skate ça coûte cher, donc forcément pour tes shoes tu vas p’tèt aller sur Vinted.(…) Tout change, je te dirais que ça va plutôt vers le bas, malheureusement.
Valentin tord un peu son smith front, ou pas ?
Tu l’as vue, toi, la sortie de Nike des skateshops ?
Quand j’étais en stage, Tony et Clèm entendait que y’avait des shops qui se faisaient remercier par Nike SB. Quelques mois plus tard, enfin plus tard, en fait, un an genre… on vendait encore du Nike SB, et d’un coup on en vendait plus (rires). On ne pouvait plus en commander ou en vendre.
Ca a été annoncé par des commerciaux ou des équipes de Nike ?
Je sais plus, c’était à mes débuts au shop (…) On l’a quand même senti venir, Clem et Tony on dut avoir un coup de téléphone ou un mail. Du coup tu pouvais voir comment les marques pouvaient traiter avec toi, tu vois. Soit vis-à-vis de qui doit parler à quelqu’un, gérer des litiges ou quoi… des fois c’est compliqué mec ! Des fois avec des grosses marques, tu vois… Et d’autres fois, des petites marques vont être au poil.
Ca a eu un impact sur l’activité du shop ?
Je te dirais que Nike, on les vendait, donc, euh… forcément vu qu’on faisait plus la marque, on a du compléter par eutre chose. Je ne pourrais pas te dire si il y a eu une perte ou autre chose. (…) des gars achetaient que du Nike, c’est sûr, du coup ils ne venaient plus. Y’avait aussi qui venaient au shop, mec, qui demandaient “Ouais, faut que je fasse une raffle, y’a une Nike SB qui va droooppeeeer, vous faites vous faites vous faites ???!” y’en a eu je sais pas combien de fois à la semaine.
Vous en faisiez ? (des raffles, ndlr. Les chaussures à la mode se vendent rapidement, et de nombreuses personnes ne peuvent pas se procurer des paires. C'est pourquoi les détaillants organisent des tombolas ou des « tirages au sort » pour permettre d'acheter les baskets. Les raffle sont généralement organisées par des détaillants bien connus sur leurs sites Web, applications ou magasins. Vous avez la possibilité d'acheter la basket lorsque vous gagnez la raffle. C’est du marketing sur la rareté, pour des paires de pompes !)
Bin non, nous on faisait pas ! Y’a des shops du coup mon gars, je pense qu’ils se faisaient dévaliser comme ils faisaient ça, genre Wall Street ou quoi. Ca m’a jamais intéressé.(…) Ca sert à rien. Les trois quarts des gens qui achetaient, c’est pas parcequ’ils kiffaient la paire, c’est pour la revendre 10 fois le prix derrière. T’es juste sur une tombola pour faire grossire le délire de la chaussure, pour être sûr que Nike ou quoi vende ses paires… et qu’au final, après derrière, notre culture ils s’en foutent, ça fait parler de la marque, marketing, tout ça…