LE SKATEPARK DE SAINT JEAN DE MAURIENNE - PART 1

PARTIE 1 : LE DEPART, avec Jérémy durand

Propos et photos recueillis par Cyril Lestage

Le skatepark de Saint-jean de Maurienne est une anomalie de la nature.

En plus, le gros gros Opinel du monde s’y trouve.

Il n’existe que parce que quelques skateurs ont décidé de construire des courbes en béton dans la petit bourgade de St Jean, située dans la vallée de la Maurienne en Savoie.

A l’heure actuelle, la commune compte à peine 7.500 âmes et est sans doute plus connue sur la scène nationale comme internationale pour héberger le plus grand skatepark en béton construit de manière indépendante et auto-gérée de France, voire même d’Europe…que pour n’importe quoi d’autre. Vous connaissez l’usine des Plans là bas ? Ca tombe bien, nous non plus.

Ce n’est pas un DIY (pour Do it Yourself pour les français…ce terme est un peu sorti de son contexte d’ailleurs : en vrai anglais, cela désigne le bricolage ou les travaux de jardinage !), dans le sens où le cadre et la construction du skatepark ont été autorisés légalement par les institutions responsables du site en question.

“ Ce truc immense qu’ils ont fait…à mon sens, c’est une des meilleures choses qui existent en Europe”.

Oli Buergin.

Oli a été le team manager Sole Tech Europe (Es, Emerica, Etnies) le plus important de toute l’histoire de la marque, et est une des personnalités les plus reconnues de l’industries, notamment via son travail avec les rampes Vertical…qui ont donné naissance à la rampe de Tony Hawk, entre autres choses. Oli est même venu donner un coup de main béton (haha) à quelques occasions sur le chantier.

Voici l’histoire, selon son ambassadeur Jérémy Durand, d’un skatepark sorti de terre il y a des années, né du rapprochement d’institutions publiques françaises (comme une mairie et un terrain qui passaient par là) avec la volonté et l’expérience d’une association loi 1901. Grâce au travail acharné de volontaires de l’association, d’une belle poignée d’Européens qui sont passé sur le chantier et de quelques étoiles mal alignées, des skateboarders de tous âges peuvent aller grinder des vrais copings dans tous les sens, gratuitement, 24/24 et 7/7.

Bon, je vous conseille pas d’y aller quand il pleut, c’est la merde.

“Je vais pas parler comme un vieux, mais j’ai 40 ans, participer a des DIY a gauche a droite je l’ai fait plein de fois.

A l’époque, t’avais l’épée de Damoclès au dessus de la tête parce que tu sais que le spot sera peut être détruit le lendemain. C’est presque excitant parce que t’es jeune et tout, après c’est beaucoup d’énergie, de temps, d’argent, je dirais même, d’un point de vue écologique… de faire du béton qui sera détruit c’est même un scandale écologique, c’est des choses que je ne veux plus du tout cautionner, donc quand j’ai démarré le DIY de St Jean de Maurienne, il fallait qu’il soit légal pour qu’il reste. Sinon, je ne me serai jamais lancé dans le truc. C’était la condition sine qua non.

Quand je vois qu’il y a des gens qui ont dépensé plus d’argent que pour la totalité du skatepark de St Jean pour faire un contest d’un week-end dans l’Adidas Arena, et qu’après on va se vanter sur les réseaux qu’on a donné 3 morceaux de bois au DIY local c’est du greenwashing, je sais pas comment ca s’appelle, toutes les expressions modernes…je suis pas toujours à la page, mais c’est du foutage de gueule.

J’avais quitte la vallée de la Maurienne dans laquelle j’avais essayé de construire des skateparks depuis bien longtemps. Pour l’anecdote j’étais encore gosse : ma première pétition je l’ai faite en 1998, je m’en souviens parce que j’aime pas du tout le foot et tout le monde était pro foot et la France était championne du monde, et moi je demandais un skatepark… Donc ça a été non ! J’ai essayé pendant très longtemps. Je faisais du skate dans St Jean, et il ont finalement construit une pyramide sur une dalle en enrobé, mais la dalle en enrobé était trop courte, donc on pouvait même pas monter sur la pyramide, y’avait pas assez d’élan. Bref un skatepark des années 90, une vraie merde.

J’ai essayé pendant longtemps, mais depuis qu’on avait un skatepark a St Jean, quand j’étais en ville, je me prenais des amendes. Parce que je devais aller au skatepark. Ma mère a été convoquée par la police municipale, elle a reçu des lettres comme quoi j’abimais les bancs et les marches de la ville…Moi j’étais amoureux du skateboard. De fil en aiguilles on a essayé de construire un skatepark et on a jamais réussi. J’ai fini par quitter la vallée de la Maurienne pour les études, pour la vie en général.

En 2012, élections municipales, je suis ca à distance parce que mon frère habite encore dans la région, et je vois que un des prétendants dit qu’il veut construire un skatepark : c’était dans son programme électoral. Je me dis “wouha ca vaut peut être le coup !”, j’essaie alors de rencontrer le maire, impossible.

“Bon la première année on peut pas y’a des dettes de l’ancien mandat bla bla bla…”

Un vraie réponse de politicien.

Après plusieurs années de mandat, ça commence a me prendre la tête.

Valentin Novo, loop sous surveillance !


J’avais mon groupe de musique, on fait un concert pour la fête de la musique et sur mon T-shirt j’écris le nom du maire, il s’appelait Charvoz à l’epoque. Avec un message « Ou est mon skatepark? » ! Je fais le concert avec ce t-shirt, scandale total, le maire porte plainte.Je me retrouve en première page des journaux… la presse locale me donne la parole et en fait, ca s’est retourné contre le maire !

Il a été obligé de me rencontrer, et finalement, on a lance un projet de skatepark en 2017. C’est comme ça que ça a commencé, l’histoire du skatepark.

C’est un peu particulier, parce que je peux comprendre que la mairie était pas trop partante, parce que plus personne ne faisait de skate. J’étais un des seuls derniers passionnés, malgré que j’avais un peu relance la scène skate en construisant une mini rampe dans mon jardin, relativement grande, où Fred Demard (ancien redacteur en chef de Freestyler magazine puis Soma, ndlr) était venu skater. Il avait écrit un article vraiment super cool dans… ça s’appelait Beach Brother, je crois a l’époque, non ? C’était pas ca ? C’était après Freestyler et avant Soma. Je vais le citer, ca fait plaisir : « la meilleure backyard minirampe de France ».

Putain, y’a Fred Demar qui skate ma mini rampe ! J’étais complètement fou, c’était génial.

Donc voila, j’avais réussi à recréer une petite scène, mais on était une dizaine. Donc quand je suis allé en mairie et que je leur ai dit qu’on voulait un skatepark, évidement la première chose qu’ils m’ont répondu c’était : “enfin, Monsieur Durand, on va pas faire un skatepark pour vous, vous êtes le seul a faire du skate dans cette ville!”

Et c’est là que je leur ai donné l’exemple, qui je pense a été assez frappant pour eux…on est une vallée qui vit de sports d’hiver, je leur ai donc dit “vous savez pourquoi y’a pas de skaters a St Jean ? Parce que y’a pas d’infrastructure”. Je leur ai dit, si demain j’enlève toutes les remontées mécaniques des stations, personne n’ira faire de ski, à part 5 passionnes qui iront faire de la rando. C’est exactement le truc, c’est le serpent qui se mord la queue. Si on construit un bon skatepark, y’aura une scène skate.

La vallée de la Maurienne

Le temps m’a donné raison, 8 ans plus tard, on a un club de skate où on a 80 adhérents, toute l’Europe qui est venu skater notre skatepark, maintenant y’a une scène skate. Voila.

La ville nous a donné un espace qui était très grand, parce qu’il a fallu trouver le lieu, c’était très dur. Ils nous ont proposé que des trucs en zone industrielle, entre deux immeubles. Et je savais qu’en partant sur un DIY on allait travailler doucement parce qu’on a pas les infrastructures, les machines, tout ce qu’il faut. Donc, il nous fallait une possibilité d’extension dans le futur si jamais, si la soupe prenait ! On nous donne 400m2, dès la première année on en a construit 800. On n’était qu’une vingtaine : le noyau dur, les membres du bureau de l’asso, plus quelques uns.

La mairie avait besoin de répondre à une structure légale, juridique, et nous on s’est très vite rendu compte qu’il fallait passer par une structure comme une association : Parce qu’on avait besoin de faire appel à toutes ces autres infrastructures, les entreprises locales. La mairie nous laissait un budget qui ne nous permettait pas de construire grand chose au début, donc pour travailler avec ces entreprises, si c’est moi qui me pointe la gueule enfarinée avec les cheveux bleus droits sur la tête ca fait pas très bien…par contre, si tu te pointes avec une association avec le statut d’intérêt général sportif, qui permet aux entreprises de déduire les dons des impôts, é tutti quanti…là tout de suite, ca faisait beaucoup plus sérieux ! Et c’est ce qui nous a permis de lancer vraiment le truc.

Donc l’association, c’est 5 membres du bureau, à fond derrière le projet, plus une dizaine de bénévoles au départ. Et ensuite, ça n’a fait que grandir parce que la presse locale nous a vraiment soutenu.

Le Journal de La Maurienne nous a vraiment soutenu, et bien que c’était un peu compliqué avec la mairie qui avait fait le pari qu’on y arriverait pas…ils ont lâché du leste pour que je la ferme un peu : “fait ton skatepark et nous enquiquine pas”. Moi, ça me tenait autant a coeur de faire un bon skatepark parce que j’avais envie de le skater, pour les jeunes du coin, pour qu’ils ne galèrent pas comme moi j’ai galère pendant 20 ans avec rien… et aussi pour faire un pied de nez ! C’était une motivation supplémentaire de leur dire “regardez vous n’avez pas cru en nous et bien regardez” !

Jérémy Durand, par un photographe inconnu…

Donc, première saison, c'est 2017. On attaque au printemps. Faut aussi parler de positif : c’est la meilleure expérience que j'ai eu et sans la mairie, sans l' accord de départ. Il n'y avait rien. On n'avait rien : il faut aussi le reconnaître à notre tour, rendre à César, ce qui est à César.

Il y a eu deux moments vraiment clés. C'est pour ça que ça me fait vraiment plaisir de parler au magazine, parce que c'est quelque chose qui me touche, j'ai toujours aimé les magazines. Quand Confusion, donc Jonathan Hay, a commencé à faire des articles sur nous, à nous imprimer dans le magazine, à parler de nous, à venir avec son timbre rouge, à faire des articles où il nous encense…écoute, moi, j'avais jamais fait pour un tapis rouge et pour qu'on me mette en avant, mais je vais lui parler, je vais lui parler à Jonathan ! Ca fait quand même chaud au coeur.

Oui.

Et ensuite, ce qui m'a permis de construire le skatepark…ils n'aiment pas trop que je les mette en avant, parce qu'ils n'ont pas fait pour ça, mais c'est pour moi, c'est des personnes incroyables.

Jérôme Heim fait des DIY en Suisse, il m'a permis de faire ma première expérience béton et sans lui, honnêtement, j'aurais jamais osé me lancer.

Et par la suite, c'est Oli Buergin : Je me pète l’épaule juste avant la saison d'hiver, je ne peux pas faire ma saison d'hiver (Jérémy a fait beaucoup trop de choses dans sa vie !! ndlr) Du coup, au mois de mars, je vais enfin mieux, mais bon, attaquer la saison d'hiver, quand elle est presque fini, c'est mort.

J'appelle Oli. 

Je lui dit “écoute, je sais que tu construis un skate park intérieur en bois à Bâle (Suisse, ndlr).Est-ce que je ne pourrais pas venir vous aider, participer ?”

Plume, frontside 50-50 bien calé au dessus du coping.

Bon, j'ai construit deux trois mini rampes en bois. Je suis pas du tout pro mais en fait, c'est pour apprendre.

Je vais prendre un peu d'expérience.Il me dit “pas de soucis”. Ça se passe super bien. Je sympathise avec Oli, il me donne tous les contacts possibles. Il me fait rentrer dans une boîte de construction de skate park en béton d'Allemagne, Fine Line.

Et quelques années plus tard, Oli Buergin vient à Saint-Jean de Maurienne…Enfin, il vient nous aider ! On fait un module, on fait une session de skate. C'était quelques années plus tard : Je dirais 4, 5 ans plus tard ? On avait lancé le projet. Et là, Oli Bergin pendant la session, il va chercher deux bières, Et puis, il me dit “assis-toi là”.

Swan Ducrot, one foot ollie transfer.

Il me dit : “félicitations d'avoir construit le meilleur DIY d'Europe”.

Là, j'ai failli tomber par terre. Enfin, si j'avais pas été assis, je serai tomber par terre.

J’avais envie de chialer.

Je ne l'ai pas fait pour lui. Mais pour moi, Oli, un peu comme Fred Demard, Juste de le côtoyer, de bosser avec lui, j’étais un peu comme un fan. J’avais envie de lui dire que j’avais des posters de lui dans ma chambre quand j’étais gosse (ndlr, Cyril Lestage aussi en avait de lui sur son mur !!).

Le skatepark continue, des gens nous aident beaucoup. Nous, on a pas mal de migrants venus d’Italie dans le coin : je les ai fait venir au skatepark. Je les nourrissais, et ils nous aidaient sur le chantier. On a fait des lettres pour essayer qu'il puissent se faire mieux intégrer en France, et pour peut-être avoir des papiers. Je travaille avec des ONG, avec Wonder, je vais aussi construire des skateparks en Afrique actuellement.



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LES COURBES DES SKATEPARKS SONT-ELLES DES RéFéRENCES SENSUELLES ?

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