ENCORE uN PEU DE Réalité avec Jim de pulp68, le fameux skateshop de genève
Partie 2
Propos et photographies recueillis par Cyril Lestage
“Aujourd’hui, si tu veux être un rebelle, un street rebel, il faut faire de la trottinette, pas du skate !
Ton sport ne sera pas représenté dans des pubs à la con de médicaments, d’assurance, et d’automobile, on ne te bassinera pas avec de pseudos vielles gloires sorties de prison qui remercient Jésus 56 fois par jour, tu ne gagneras pas de chèques à 250’000 $, Nike ne s’intéressera jamais à toi, on ne t’imposera pas d’organiser des compétitions pour les filles et les diversités, tu ne finiras jamais aux JO managé par des fédérations pathétiques, tu n’auras aucun jeux vidéo à ton nom, et surtout, surtout, tout le monde te détesteras sur le skatepark, tu seras donc condamné à aller en street.
Le bon moyen de savourer ce qu’était le skate, le vrai…”
Jim Zbinden de PULP68, le fameux skateshop et musée genevois qui existe depuis plus de 25 ans, continue donc de vous expliquer l’industrie du skate ces jours-ci. La partie 1 est lisible ici.
Bonne lecture.
Les skateurs, les vrais, ça reste dans la rue ?
(On continue sur les roues de skate, NDLR)
Les Wheels, c’est un cas très personnel. J’vais vendre un peu ce qu’on me demande : je dois m’adapter à la demande. Que je partage ou pas cette opinion…je vais pas non plus aller dans le mur. Si tout le monde me demande des Spit Formula 4, je vais pas aller vendre des p’tites marques locales. Par contre, si je veux une deuxième ou une troisième marque, je vais aller soutenir des gens qui sont encore des passionnés. Je vends des Haze wheels par exemple, la marque Bertrand Soubrier, parce que le gars il est puriste, il est là… il croit à son truc, et je me dis, bah voilà, si un jeu sur 5 je peux vendre les siennes et que ça le fait bouffer, c’est cool tu vois !
Y’a quand même ce soutien de l’industrie, mano à mano.
Ouais, ouais ! Mais aller vendre des wheels primitive, ou des wheels j’en sais rien(…) ça a pas d’intérêt pour moi.
On va donc pas essayer de privilégier les marques de planches qui font des roues… Chacun un peu à sa place ?
Bin je crois, ouais. Après c’est ma vision, ce sera pas la vision de tout le monde.(…) Y’a le côté affect aussi tu vois, on est dans un cas séparé tu vois en Suisse. On est pas dans le cas de V7 en France. Je me dis, « Mais qui investit de l’argent ? » (ndlr : dans le sens, investir dans le skate et sa communauté)
C'est-à-dire ?
Tu vois, Bertrand, je lui fais un mail demain en lui disant que « je fais une compétition pour les kids, est-ce que tu me files quelques paires de wheels ? » Je sais qu’il va dire oui. Pour moi, c’est LE plus important quand je commande un produit.
C’est notre industrie, on en prend soin, c’est ça que tu veux dire ?
Si je commande une board chez Primitive et que j’appelle l’après-midi en disant que je fais un contest pour des kids, « Est-ce que vous nous soutenez ? » Ils vont même pas me répondre.
Tu ne penses pas que c’est parce qu’ils ont plus de demandes qu’un Bébert ? (Bertrand Soubrier, ndlr)
Je pense que c’est parce qu’il en ont rien à foutre. (rires) Clairement, ils sont au States, ça marche bien, ils font des collabs à tout venant, y se posent pas la question, z’en ont rien à foutre. Quand on va vu les 30 ans du musée arriver, j’ai écrit un long mail… à toutes les marques. En disant, ça fait 30 ans qu’on a le musée, ça fait 30 ans qu’on a zéro soutien financier de personne, ça fait 30 ans que c’est dur de porter ça sur nos épaules… On sait que vous avez des boards « twist » (tordues, ndlr, qui ne peuvent pas être vendues), en defect, des erreurs de print et que vous les jetez. Est-ce que vous seriez d’accord de, au lieu de les jeter, de nous les filer pour le musée ? Qu’on les archive, qu’on les expose ? Nous, on paie les frais d’envois, et ça ne vous coûte pas d’argent. Ce mail, j’ai du l’envoyer à 150 marques. Franchement. J’ai reçu… 0 réponses en retour.
Zéro réponses en retour ?!
Zéro. Et j’ai doublé mon envoi hein, j’ai envoyé par email et sur Insta(…). Pas un mot !
Selon Jim, les 15-25 ne vont plus en skateshops, et ça n’est pas la peine d’aller les séduire toutes les 5 minutes.
Tu as bien dépend la situation pour un magasin qui a plus de 25 ans. Ca représente quelque chose.
Mais comment ça va pour Pulp ? On est le 14 mars 2025, comment ça va pour le magasin et pour vous l’équipe ?
Moi, j’ai envie de te dire, pas trop mal. Et ça va t’étonner, parce que je pense que tout le monde va te répondre que c’est la cata, mais…
En France en tout cas c’est fermeture sur fermeture, ça c’est clair.
Ouais, ouais…même Abs et compagnie…
Bah, Abs a fermé à Lyon et à Grenoble !!(…) Ça m’a secoué quoi.
J’ai pas envie de dire que je suis plus fort que les autres, c’est pas le cas. Mais quand j’ai senti que le vent tournait, post-Covid, je me suis vraiment posé autour de la table et je me suis dit : « Il faut réfléchir. C’est qui ma clientèle aujourd’hui ? » Et pourquoi ça marche trop mal c’est que j’ai compris qu’on pouvait pas lutter contre SkateDeluxe et les shops online, parce que la génération d’aujoud’hui, elle est née avec ça. Et comme pour eux, c’est un peu premier réflexe de voir en ligne, et si on trouve pas en ligne on ira éventuellement dans les skateshops, il faut réfléchir…à la clientèle qui est à l’inverse de ça. Donc j’ai lâché toutes les marques qui étaient un peu « hype » pour les kids, puisque de toute façon ils les commandaient en ligne, et je me suis concentré sur tout ce qui allait intéresser les quarantenaires et les quinqua, qui eux, vont encore en boutique. Dans des produits un peu plus rares, dans des éditions limitées (…) Et ça, j’ai des ventes constantes. Parce que dans mon choix de produits qui est orienté vers une clientèle qui va en boutique. (…) Les vieux, les enfants qui viennent avec les parents ? Eh bin, concentrons-nous sur cette clientèle.
De toutes manières, les kids vont vieillir et ils auront des plus petits et des plus vieux à côté… » Ah mais eux, ils vont en shops ? Pourquoi moi j’irai pas aussi ? »
Vous voulez “plus de salaires” dans le skate ?
N’allez pas mettre vos sous chez Adidas, ou Nike, ou… Mais y’a qui au juste ?
Tristan Suchaut persiste quand-même avec un beau backside smithgrind.
C’est exactement ça. Je vais juste faire une précision sur un sujet un peu brûlant, c’est Nike SB .
(qui a arrêté de fournir à de nombreux skateshops, dans des conditions très discutables, après avoir forcé la main pendant des années avec des commandes obligatoires que les magasins devaient honorer pour être capable de vendre du Nike, ndlr)(…)
J’ai été un des premier à en vendre, en tout cas en Suisse, en 2004. Et j’ai très très vite compris que j’avais ouvert la porte au diable.
2 ans plus tard, j’ai dit « Maintenant vous partez, ça m’intéresse plus. Barrez-vous. » Contrairement à tous ceux qui se sont mis à genou et qui ont écartés les fesses pour des comptes quickstrike, hyperstrike, et compagnie…
Avec des commandes obligatoires et cetera…
Voilà ! Et qui aujourd’hui vont dans le mur, parce que du coup ils sont pris au piège par ça.(…)Peut-être qu’ils trouvaient génial d’avoir 40 mecs qui faisaient la queue le matin pour prendre une paire de SB(…) Quand le rep’ (le représentant commercial, ndlr) il est venu me voir et qu’il m’a dit « Ouais bah, si tu veux continer à vendre du Nike SB, tu pourras plus vendre d’Etnies », je l’ai regardé… « Tu penses vraiment qu’avec ta tronche de puceau qui a jamais fait un ollie de ta vie, tu pense que à moi, Jim, tu vas m’imposer ce que je mets dans mes rayons pour pouvoir garder ta marque ?! Tu reprends tes classeurs, tes catalogues, tu dégages d’ici, et tu y remets plus jamais les pieds. »
Merci mille fois à Jim pour sa passion et sa patience.
Musée du Skate de Genève
Avenue Henri Golay, 20
1219 Vernier, Suisse