Le skate, ça fait du bruit.
Humeur, d’après un écrit texte de David Abiker, par Cyril Keller.
Photos : Cyril Lestage
Dis papa, c’est quoi un Skater ?
Il y a deux ans, une copine partageait sur Facebook un texte qui allait rester dans ma mémoire de skater à tout jamais.
Immédiatement après la lecture, aussi ému qu’après mon premier kickflip, j’ai retenu une larme et je me suis dis: « mais c’est qui ce mec qui écrit ça sur le skate ? ».
David Abiker est écrivain, journaliste et chroniqueur. Mais c’est quoi le rapport entre lui et le skate ? Aucun. Il me l’a dit lui même, il n’y connait rien.
Et pourtant. Un jour après avoir observé les skaters du Dôme ( aka Le Palais de Tokyo, à Paris), il a écrit un des plus beaux textes jamais écrits sur le skate.
Alors bien sur, au moment de la publication, il a subit quelques remarques de gens au cerveau plus petit que les roues de Mike Carroll dans la 2eme video Plan B. Des trucs idiots, du genre « vous ne parlez que de skaters et vous oubliez qu’il y a aussi des skateuses gna gna gna… » , sauf que, m’a t-il dit, ce jour la, il n’y avait que des garçons.
Et comme d’habitude, les Haters n’ont lu que les majuscules et occulté ce qu’il se passe quand on lit une phrase en entier.
Ce qu’il faut voir dans ce bijou, c’est la philosophie de notre passion. L’admiration soudaine de ce monsieur pour ces drôles de sportifs qui passent leur temps à tomber en toute désinvolture, et surtout pour ne rien gagner, sans match, sans compétition, juste pour la beauté du geste.
Alors ce texte, lisez-le. Doucement. Pesez chaque mot. Savourez cette analyse de la planche à roulettes par quelqu’un qui n’y connait rien, mais qui en perçoit l’essentiel.
Ce texte, lisez le à ceux qui ne connaissent pas le skate pour que tout le monde sache.
Ce texte, imprimez le et accrochez le au dessus de votre lit pour ne jamais oublier ce que nous sommes « des philosophes du bitume ».
Merci David Abiker.
Le skate, ça fait du bruit.
Je me dis cela en passant par les escaliers qui relient le musée d'Art moderne de Paris à l'avenue de New-York, le long de la Seine. S'y retrouvent des adeptes de la planche à roulettes. Le skate fait du bruit, oui. Un bruit de roulements à billes qui éclate en un choc sec quand le skateur dévale des marches ou qu'il perd le contrôle. Le skate fait du bruit, mais il y a chez ceux qui le pratiquent un silence intérieur qui force le respect. Ils ont l'opiniâtreté mutique de ceux qui, sur le métier, vingt fois remettent leur ouvrage. Ces sportifs sont de la trempe des Sisyphe. Il faut bien les regarder, et l'on perd patience avant eux! Toujours l’air un peu las en ramassant leur engin, comme s'ils s'ennuyaient. Mais non.
Derrière le calme, la concentration.
Car rien ne va de soi quand vous êtes sur une planche, élancé, prêt à sauter sur un banc ou à franchir le bord d'une fontaine. Le skateur fait avec ce qu'il a et prend son risque, comme un chat. Que la roue ait été inventée pour des surfaces planes, peu lui importe. Sur les marches d'un escalier, sur une piste trop courte, sur une pente trop raide, le skateur se confronte à la frustration. La figure ne sera jamais parfaite, la trajectoire toujours contrariée par le béton. « Faites-leur des pistes! » couinera le riverain. Surtout pas, ça casserait le charme; car tout l'attrait du skate, c'est d'occuper un terrain pas fait pour ça. Ces garçons cultivent leur style avant et après la figure.
C'est aussi important que la glisse elle-même, confirmant une nonchalance qui dépasse leur jean trop large. Face à l'obstacle qui le met en échec systématique ou presque, le skateur travaille sa fausse désinvolture. Derrière sa façon d'être cool dans l'espace, imperturbable lorsqu'il ramasse sa planche (ou qu'il se ramasse), il reste digne. Digne comme un adolescent qui tient son rang.
Un seigneur, donc. Digne dans sa solitude. Digne dans la répétition monotone de son effort. Le skateur est à part. Là où le cycliste pédale dans la choucroute des nouvelles mobilités, là où le joggeur se hâte comme le lapin d'Alice au pays des merveilles, là où le tennisman éructe en perdant le point, le skateur affiche une impassibilité aux antipodes de cette époque qui veut tout, tout de suite. Dans son allure et son entêtement, dans le choix même de cette planche absolument pas pratique,il est un mystère sur roues.
Pourquoi donc ainsi se cogner au réel avec tant de régularité?
Rien n'est simple dans ce rituel répétitif, cet art d'être dans la ville.
Candidats à rien, ne revendiquant rien, ne marquant aucun but, n'affrontant aucun club, ces grands gamins sont là pour recommencer leurs figures bancales jusqu'à l'absurde. Nos temps agités, phraseurs, hystériques et tapageurs ont besoin de leur stoicisme.
Ce qui les rend si attachants?
Cette drôle de sagesse qu'ils ne soupçonnent pas eux-mêmes, et qui fait d'eux des philosophes du bitume.